Le PDG a annoncé un bénéfice net de 3,55 milliards d'euros, en hausse de 43 %, en 2004. Il laissera à Carlos Ghosn, le PDG de Nissan, qui prendra fin avril la direction du constructeur français, un groupe en bonne santé et en position plus forte dans l'alliance avec le japonais
Pour la première fois de sa carrière, Carlos Ghosn va prendre la tête d'une entreprise en bonne santé. Louis Schweitzer, le PDG de Renault, qui doit lui céder les rênes de l'entreprise le 29 avril, a annoncé, mardi 8 février, des résultats records pour l'exercice 2004.
Le bénéfice net s'élève à 3,55 milliards d'euros, en hausse de 43 %, pour un chiffre d'affaires de 40,7 milliards.
"Ces résultats nous positionnent comme le meilleur généraliste européen, ce qui est important pour l'équilibre de l'alliance avec Nissan",explique M. Schweitzer, qui n'entendait pas rater sa sortie. Contrairement aux années précédentes, la qualité de ces résultats n'est pas uniquement due à sa participation de 44,4 % dans Nissan, mais aux performances propres de la marque française.
En 2004, Renault a ainsi vu son résultat d'exploitation faire un bond de 72,5 %, pour atteindre 2,41 milliards d'euros, soit une marge opérationnelle de 5,9 % du chiffre d'affaires, contre 3,7 % en 2003. Le constructeur a commercialisé plus de voitures (+ 4,2 %), grâce au succès de la gamme Mégane et de la nouvelle petite Modus, mais aussi en raison d'une plus forte internationalisation : dès 2005, pour la première fois de son histoire, Renault devrait vendre plus de voitures hors d'Europe que sur son marché d'origine, la France. Un basculement plus que symbolique : les marchés internationaux, moins concurrentiels que ceux du Vieux Continent, sont plus rentables. Par ailleurs, les volumes écoulés sont de gamme supérieure et mieux équipés, permettant de dégager de meilleures marges qu'en 2003.
Les derniers résultats de l'ère Schweitzer couronnent un bilan incontestablement positif. Sous son impulsion, l'ex-Régie nationale des usines Renault, symbole de l'économie mixte de l'après-guerre, encore très franco-française en 1992, lors de son accession à la présidence, est devenue, grâce à son alliance avec Nissan, le quatrième constructeur mondial, avec 5,8 millions de véhicules vendus, soit une part de marché de 9,6 %.
Pourtant, lorsqu'en 1992 l'ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon est arrivé à la tête de Renault, on ne donne pas cher du champion national. Tout le monde ou presque a mis en garde Louis Schweitzer : "Cette entreprise n'a d'autre avenir que de se faire racheter ou mourir." Même si les deux prédécesseurs de M. Schweitzer, Georges Besse et Raymond Lévy, ont considérablement assaini la situation de l'entreprise, au bord de la faillite en 1984 avec 12,5 milliards de francs de pertes, le groupe cumule les handicaps. "Trop petit, trop français, trop seul", titre alors L'Expansion.
Pour la taille, le PDG mise sur Volvo. Mais trois ans après le début du rapprochement, initié en 1990, le constructeur suédois demande le divorce. Le gouvernement français, trop lent et trop interventionniste, a fini par convaincre les actionnaires de Volvo de renoncer au mariage. Un véritable traumatisme pour Renault, brutalement ramené au rang de sixième et dernier constructeur européen.
M. Schweitzer mise sur la privatisation pour se relancer. Il fut pourtant l'un des artisans des nationalisations de 1982, au cabinet de M. Fabius, alors au ministère de l'industrie. Mais il tire les leçons du changement du contexte concurrentiel avec, notamment, la montée en puissance du pouvoir de la Commission européenne. A partir du moment où l'Etat actionnaire ne peut plus aider les entreprises qui sont sous sa coupe, celles-ci n'ont qu'une façon de réussir : se battre à armes égales avec leurs concurrents privés. Le PDG obtient gain de cause en 1996, lorsque l'Etat passe sous les 50 % du capital.
C'est aussi cette année-là que Renault affiche ses premières pertes depuis 1985. M. Schweitzer, tout à ses projets stratégiques d'internationalisation, a négligé la gestion quotidienne. Il s'aperçoit tardivement que Renault a laissé dériver ses coûts. Pour redresser la situation, il fait appel à un nouveau directeur général adjoint : Carlos Ghosn.
Inconnu en France, ce Brésilien d'origine libanaise a effectué un parcours sans faute en redressant les filiales brésilienne et américaine de Michelin. Il y a gagné une réputation de cost killer (réducteur de coûts) qu'il va justifier chez Renault, en menant notamment la fermeture de l'usine belge de Vilvorde, qui emploie 4 000 personnes.
Cette décision, annoncée dans la précipitation, provoque un tollé politique et syndical. M. Schweitzer, inflexible, y gagne une véritable légitimité. Grâce à la réduction des coûts et au succès fulgurant du Scénic, le premier monospace compact, Renault se retrouve, à la fin des années 1990, à la tête d'un véritable trésor de guerre.
L'époque est aux fusions. Renault, hormis une présence en Turquie et au Brésil, reste faiblement internationalisé. Son PDG est décidé à profiter de la consolidation du secteur automobile, qui se profile dans la foulée de la fusion entre Daimler et Chrysler. M. Schweitzer fait le pari insensé de prendre le contrôle de Nissan. Le deuxième constructeur japonais est criblé de dettes et ne cesse de perdre de l'argent. M. Ghosn est envoyé à Tokyo : en trois ans, il fera de Nissan le constructeur le plus rentable de la planète, offrant à Renault une véritable rente de situation.
En 2000, M. Schweitzer règle aussi la question du secteur camions, dont les résultats restent erratiques, en échangeant Renault VI contre une participation de 20 % dans Volvo. En 2004, sa participation dans Volvo a rapporté à Renault entre 200 et 250 millions d'euros.
En avril, M. Schweitzer laissera à M. Ghosn plusieurs chantiers. Le Brésil, le coréen Samsung, la Logan - "la voiture à 5 000 euros" - sont des défis prometteurs, mais aucun n'est encore gagné. En plaçant la barre très haut, avec des résultats-records en 2004, le PDG met sous pression son successeur. M. Schweitzer a ainsi annoncé, mardi, que 2005 serait moins bon que 2004, tablant sur une marge opérationnelle "supérieure à 4 %". Mais il sait que M. Ghosn n'est jamais aussi bon que dans l'adversité.
Stéphane Lauer
De la Régie nationale à l'alliance japonaise
Avril 1986 :
Louis Schweitzer, ex-directeur de cabinet de Laurent Fabius, est recruté par Georges Besse, PDG de Renault. Il est nommé directeur du contrôle de gestion en décembre.
23 février 1990 :
signature de l'alliance Renault-Volvo.
27 mai 1992 :
Louis Schweitzer succède à Raymond Lévy à la tête de Renault.
6 septembre 1993 :
signature de la fusion entre Renault et Volvo.
2 décembre 1993 :
Volvo renonce à fusionner avec Renault.
13 septembre 1994 :
ouverture du capital de l'ex-Régie.
1er juin 1995 :
Renault décide d'implanter une usine au Brésil. Elle sera inaugurée en 1998.
3 juillet 1996 :
privatisation de Renault. L'Etat, qui détenait 52 % du capital, passe à 46 %.
1er décembre 1996 :
Carlos Ghosn est nommé directeur général adjoint.
27 février 1997 :
l'annonce de la fermeture de l'usine belge de Vilvorde provoque un tollé.
27 mars 1999 :
Renault acquiert 36,7 % du japonais Nissan. Carlos Ghosn en prend la direction.
2 juillet 1999 :
Renault prend le contrôle du roumain Dacia.
21 avril 2000 :
Renault rachète le constructeur sud-coréen Samsung Motors.
26 avril 2000 :
Renault cède ses camions à Volvo, en échange de 20 % du groupe suédois.
30 octobre 2001 :
Nissan prend 15 % de Renault, qui monte à 44,4 % au capital du constructeur japonais. L'Etat s'engage à descendre à 25 % de Renault.
Septembre 2004 :
commercialisation de la Logan, la "voiture à 5 000 euros", fabriquée par Dacia.
29 avril 2005 :
Carlos Ghosn succédera à Louis Schweitzer à la tête de Renault.
Un marché européen stable en 2005
Renault a annoncé, mardi 8 février, qu'il tablait sur un marché automobile stable en Europe et en légère progression dans ses autres pays d'implantation, Turquie exceptée, en 2005. Louis Schweitzer s'attend, pour le marché français, à une augmentation de 2 %, après le léger repli de 2004. Renault compte bénéficier en 2005 de la poursuite du renouvellement de sa gamme, avec la montée en régime des ventes du mini-monospace Modus et le renouvellement de la Clio au second semestre. "Renault poursuivra son développement hors d'Europe grâce à la vitalité de sa gamme actuelle et au déploiement du programme Logan dans de nombreux pays", indique le groupe dans un communiqué. La fameuse "voiture à 5 000 euros" doit commencer à être fabriquée en Russie à partir d'avril 2005, et sa commercialisation débutera en juin en Europe occidentale. En Roumanie, les cadences sont passées, en février, à 500 véhicules par jour, contre 300 précédemment.