Six mois après le procès d'Outreau, M. Perben présente des pistes de réforme
LE MONDE | 08.02.05 | 13h59 • MIS A JOUR LE 08.02.05 | 14h55
Parole des enfants, experts, travail du juge d'instruction et détention provisoire : le ministre de la justice devait s'appuyer sur les conclusions du groupe de travail chargé, en juillet, de tirer les leçons de l'affaire. Six mois après la fin du procès pour pédophilie d'Outreau (Pas-de-Calais), le garde des sceaux, Dominique Perben, devait présenter, mardi 8 février, des pistes de réforme. Il s'est appuyé sur les conclusions du groupe de travail réuni depuis juillet sous la responsabilité de Jean-Olivier Viout, procureur général près la cour d'appel de Lyon.
A cette occasion, M. Perben devait faire part de son soutien à la journaliste Florence Aubenas, disparue en Irak, qui avait couvert le procès pour le journal Libération et a été auditionné par le groupe Viout.
Le recueil de la parole des enfants.
Les enfants d'Outreau, victimes, sont aussi apparus comme de fragiles accusateurs lors du procès tenu à Saint-Omer. Dans ce chapitre, le groupe de travail exprime sa satisfaction devant "le développement de la professionnalisation des officiers de police judiciaire en charge du recueil de la parole de l'enfant". Ainsi, 640 enquêteurs de la gendarmerie ont déjà été formés à l'audition des mineurs. La police forme 60 officiers par an. M. Perben devait annoncer que seuls ces personnels spécialisés pourront entendre les enfants.
Le bilan est moins positif en ce qui concerne la loi du 17 juin 1998 sur l'enregistrement audiovisuel des auditions des mineurs. Les services d'enquête demeurent réticents ; la plupart sont mal équipés.
Certains doutent de l'utilisation effective de la vidéo au cours de la procédure judiciaire. D'autres invoquent le refus de la caméra par le mineur. Le rapport cite un important service de police de la région parisienne dans lequel, sur 336 mineurs entendus en 2003 pour violences sexuelles, 328 auraient opposé un refus "alors que dans d'autres unités le taux d'acceptation dépasse 80 %". Les diligences prises pour susciter l'accord du mineur devront à l'avenir apparaître dans les procédures. Par ailleurs, une circulaire encouragera les parquets à saisir systématiquement le juge des enfants en cas de suspicion de maltraitance intrafamiliale.
Les experts.
En découvrant qu'une psychologue était salariée d'une association d'aide à l'enfance dépendant du conseil général, la cour d'assises du Pas-de-Calais a été confrontée à la question de l'impartialité des experts. Le groupe de travail a estimé "indispensable que l'expert déclare au moment de sa désignation par le magistrat son appartenance à une association habilitée à exercer en justice".
Mais le garde des sceaux devait retenir une autre proposition : une circulaire bannira des expertises la notion de "crédibilité", trop facilement assimilée selon la chancellerie à "un détecteur de mensonge". Face à la désaffection des psychiatres (13 700 en activité, seulement 800 inscrits sur la liste des experts), M. Perben devait promettre une "revalorisation financière", sans en préciser le montant ni le calendrier.
Le juge d'instruction.
La jeunesse du juge Fabrice Burgaud, qui a instruit l'affaire d'Outreau, a concentré les critiques. Pour le groupe de travail, rien ne servirait de réserver l'instruction aux magistrats expérimentés. L'idée d'une formation renforcée n'est pas retenue. Elle aurait coûté cher. Mais la cosaisine de plusieurs juges dans les affaires complexes devrait faire l'objet d'un projet de loi avant l'été. Les textes actuels l'autorisent à condition que le juge chargé du dossier l'accepte. Il s'agit de pouvoir le lui imposer. Un décret précisera la façon dont seront désignés, dans les cours d'appel, ces magistrats, "conseillers référents" des juges.
La détention provisoire.
C'était, selon M. Perben, "la question principale" posée par l'affaire d'Outreau. Parmi les sept accusés acquittés en première instance, six ont subi de longues détentions, jusqu'à plus de trois ans. Réaliste, le groupe de travail n'a pas préconisé de rendre collégiales les décisions de maintien en liberté : promise par M. Perben il y a plus d'un an, cette mesure a été écartée en raison du manque de juges des libertés et de la détention.
Le ministre devait confirmer en revanche ce qu'il avait annoncé dès le 2 juillet 2004, quelques heures après le verdict. Une loi permettra à toute personne placée en détention provisoire, au bout de six mois, de voir son dossier examiné de façon contradictoire lors d'une audience publique devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel. Cette audience, systématique et renouvelée semestriellement, permettra de dresser l'état complet du dossier en cours d'instruction. Des moyens, non chiffrés, sont promis aux cours d'appel.
Nathalie Guibert
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.02.05
  
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