La secrétaire d'Etat est venue mettre en œuvre la volonté désormais affichée par Washington d'un rapprochement avec la France, après la brouille passée à propos de l'Irak.
Après le Proche-Orient, Condoleezza Rice était attendue à Paris, mardi 8 février, pour une visite présentée de part et d'autre, comme l'aube d'une ère nouvelle dans les relations entre les Etats-Unis et la France. Parmi les diverses étapes européennes de sa tournée à l'étranger, Mme Rice a choisi Paris pour délivrer "un important discours"sur les relations transatlantiques.
"Elle a estimé que Paris est un endroit où l'on débat beaucoup des Etats-Unis, de l'Europe, de nos objectifs communs, a expliqué le porte-parole du département d'Etat : elle voulait prendre part à cette discussion"
Celle qui, pendant le premier mandat présidentiel, a été perçue par les Français comme l'un des esprits malins incitant George Bush à sa croisade guerrière, aborde aujourd'hui Paris sur le plan des idées, avec, semble-t-il, la volonté de convaincre plutôt que d'enrôler. En témoigne le lieu choisi pour sa prestation de mardi : Sciences po, l'école par laquelle sont supposées passer les futures élites politiques.
Finis, en tout cas, les ressentiments et les petites phrases revanchardes contre la France. Le désir de la seconde administration Bush de restaurer le climat dans l'Alliance atlantique passe par une réconciliation avec la France. "Oui nous avons eu des différends mais c'était seulement à propos de l'Irak", "nos relations avec la France sont bonnes, meilleures en pratique qu'en théorie", déclarait récemment Mme Rice. Sa visite à Paris doit aussi préparer le dîner auquel George Bush a convié Jacques Chirac, le 21 février à Bruxelles.
Côté français, on est tout aussi désireux d'un "nouveau départ" avec Washington. Le ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, n'a d'ailleurs pas cessé de le souhaiter depuis qu'il est arrivé au quai d'Orsay, au point de se faire parfois rappeler par le président de la République à rester malgré tout ferme sur les principes. Mme Rice étant devenue son homologue, c'est le ministre qui devait la recevoir à dîner au quai d'Orsay mardi, après son entretien d'environ une heure avec Jacques Chirac à l'Elysée.
L'Irak a cessé de corrompre les relations entre les deux pays. La France n'est plus tenue pour traître en raison de sa non-participation à l'intervention militaire. Les Etats-Unis reconnaîssent publiquement que l'annulation d'une part considérable de la dette irakienne représente de sa part une importante contribution à la reconstruction.
Paris a cessé, de son côté, de réclamer le départ des troupes étrangères d'Irak. Le président de la République estime désormais, selon son entourage, qu'"il faut d'abord franchir les autres étapes du processus politique" et que le retrait des troupes "n'est pas possible si tout va mal et qu'il y a un risque d'éclatement du pays".
L'évolution de la situation au Proche-Orient offre, d'autre part, à la France et à l'Europe, qui sur ce sujet fait bloc, un motif fort de rétablir des relations plus positives avec Washington. La course de Michel Barnier au Proche-Orient lundi, sur les traces de Mme Rice, indique néanmoins que Paris n'entend pas laisser l'Europe se faire écarter du dossier.
CROISADE POUR LA LIBERTÉ
La France fait aussi bloc avec la Grande-Bretagne et les autres Européens pour tenter d'obtenir, par la négociation, le renoncement de Téhéran à l'arme nucléaire. Washington garde ostensiblement ses distances avec cette stratégie pacifique, mais à Paris on ne croit pas à une menace américaine de recours à la force. " On n'en est pas là ! affirme-t-on à l'Elysée ; personne ne parle d'intervention militaire en Iran". Sur ce dossier comme sur d'autres, les Etats-Unis ne peuvent en tout cas plus enfoncer un coin entre les "bons" et les "mauvais" Européens comme ils l'ont fait à propos de l'Irak.
Reste le sujet central du discours de Mme Rice : la nouvelle version de la croisade de George Bush en faveur de la "liberté". Condoleezza Rice a déjà martelé son message ces jours derniers en Allemagne, en Pologne et en Turquie. : "le prochain chapitre de l'histoire de notre grande Alliance sera dédié à la grande cause de la promotion de la liberté".
La France rejette l'idée selon laquelle le modèle américain de démocratie aurait vocation à être imposé partout dans le monde, fut-ce par des moyens non militaires. Mais, fait-on remarquer à l'Elysée, c'est un vieux débat entre Paris et Washington.
N'était-ce pas Madeleine Albright qui, en juin 2000 déjà, avait tenté de lancer une coalition des démocraties, lors d'une réunion organisée à Varsovie ? En accord avec Jacques Chirac, Hubert Védrine avait fait dissidence de façon remarquée, en dénonçant "l'utilisation de l'aspiration universelle à la démocratie à des fins d'influence ou de domination politique, économique et culturelle".
Claire Tréan