Un film tourné après l'incendie a été projeté.
Bonneville (Haute-Savoie) de notre envoyé spécial
C'est un long travelling, une séquence oppressante de vingt-sept minutes : l'intérieur du tunnel du Mont-Blanc, saisi le 12 mai 1999, un mois et demi après l'incendie qui l'avait ravagé et avait provoqué la mort de 39 personnes.
Lundi 7 février, au 5e jour du procès de la catastrophe, le tribunal de Bonneville a visionné ce film.
C'est l'effarement d'abord, à la vue des carcasses métalliques des véhicules pris dans le brasier. Un témoin parle de scène d'"apocalypse", un autre évoque la "nuit" dans laquelle sont entrées les victimes ce jour-là. Suivant le parcours de la caméra, le regard est happé par la voûte de l'ouvrage, qui passe du noir au blanc, avant de revenir au noir. Le noir de la suie, le blanc de la chaleur intense qui indique le lieu où l'incendie a été le plus intense. Ici, les débris d'un camion. Là, un amas de cendres. Plus loin, des câbles électriques qui pendent dans le vide.
Puis, il y a ces quelques secondes où l'on a, malgré tout, du mal à se replacer dans la réalité de la tragédie. Ces images, saisies à plusieurs semaines du drame, paraissent presque lissées, nettoyées de leurs éléments les plus insupportables. Surtout, il y a ce silence. Pas un bruit, pas un son, pendant la progression de la caméra, au rythme de cinq kilomètres-heure, sur près de 2 000 mètres, la longueur sur laquelle l'ouvrage a été sinistré.
Du bruit, le commissaire Philippe Justo en a un souvenir très précis. Il a été l'un des tout premiers enquêteurs à pénétrer dans l'ouvrage quand l'incendie a été circonscrit. Il y régnait encore une chaleur intenable, et le policier se rappelle les brumisateurs fonctionnant à plein régime pour tenter, dans un bruit assourdissant, de faire baisser la température. Il se souvient aussi des groupes électrogènes qui fournissaient un peu de lumière aux spécialistes de la police scientifique et technique, déjà au travail pour tenter d'identifier les victimes.
CARCASSES "SOUDÉES"
C'est là, au milieu des gravats fumants, dans une odeur qu'on devine étouffante, dans un environnement resté potentiellement dangereux, qu'a commencé ce long travail. Sur les corps des trente-neuf victimes, seuls six, relativement épargnés par le brasier, avaient conservé une apparence humaine. Ils ont été retrouvés à proximité des refuges qui jalonnent le tunnel, mais n'ont en l'occurrence pas été d'une grande protection. L'une des victimes a été retrouvée la bouche littéralement collée à une arrivée d'air. Des autres, il ne reste que des ossements, et en si petit nombre et en si mauvais état qu'il a été impossible de faire des expertises ADN. La plupart ont pu être identifiées grâce à leur dentition. L'incendie a été si puissant que les vitres des voitures ont fondu et que les carcasses ont été "soudées" à la chaussée.
Le 30 avril 1999, plus d'un mois après l'incendie, un septième corps a été retrouvé sous un tas de gravats dû à l'éboulement partiel de la voûte : un chauffeur routier qui avait sans doute pensé pouvoir échapper aux flammes en se réfugiant dans la remorque frigorifique de son camion.
Acacio Pereira