La Scuderia, accusée d'avoir "trahi" les autres écuries, s'explique sur ses choix.
Maranello (Italie) de notre envoyé spécial
"Non, Ferrari n'a pas trahi." C'est le message qu'a voulu faire passer Jean Todt, directeur général du constructeur automobile italien et patron de la Scuderia, lundi 7 février, à Maranello.
Non, l'écurie italienne n'a pas trahi les autres constructeurs (Mercedes, Renault et BMW) engagés en F1 et réunis au sein du Grand Prix World Championship (GPWC) en signant unilatéralement, le 19 janvier, une prolongation jusqu'à 2012 des actuels "accords de la Concorde".
Ces accords secrets, dont l'application s'achève fin 2007, expliquent la manière dont le sport est géré et, surtout, comment sont répartis ses revenus.
Pour l'heure, les écuries perçoivent 47 % des droits TV, soit 190 millions de dollars par an (149 millions d'euros), ce qui représente 23 % des revenus générés par la F1. L'essentiel des recettes revenant au Britannique Bernie Ecclestone, 74 ans, grand argentier et maître d'œuvre de la F1 moderne.
"D'habitude, Ferrari prévient plus tôt. Là, les choses sont allées vraiment très vite", remarque un proche du GPWC.
Jean Todt considère, lui, que Ferrari avait clairement prévenu ses partenaires avant de s'engager en faveur d'une prolongation de l'application des accords de la Concorde, et qu'ils ont probablement "oublié". Il en veut pour preuve le courrier adressé aux autres membres du GPWC le 27 juillet 2004 : "Ferrari est prêt à prolonger le "memorandum of understanding" -protocole d'accord devant permettre aux constructeurs de définir les termes d'une nouvelle organisation du sport qui leur soit plus favorable-si cela ne l'empêche pas de pouvoir négocier avec Bernie Ecclestone un possible renouvellement des accords de la Concorde", explique le texte, dans lequel Ferrari considère qu'un tel renouvellement "garantirait la perception immédiate de recettes supplémentaires".
FRÉNÉSIE DES DÉPENSES
Dans la foulée de la signature de l'accord entre Ferrari, la Fédération internationale de l'automobile (FIA) et Formula One Management (FOM), la société de Bernie Ecclestone, ce dernier est passé à l'acte, en annonçant qu'il était prêt à offrir sur-le-champ aux écuries 500 millions de dollars (400 millions d'euros) sur trois ans, c'est-à-dire jusqu'à échéance des actuels accords. Dans ce schéma, Ferrari se taillerait la part du lion avec quelque 150 millions de dollars (120 millions d'euros).
Face à cette offre, les candidats ne se sont pas - "pour l'heure", pense Jean Todt - bousculés au portillon. Il est vrai que, le 22 janvier, trois jours après l'annonce de Ferrari, Jürgen Hubbert, président du GPWC, exhortait les écuries à ne pas signer.
"Pour l'instant, nous ne savons pas encore si ces nouveaux accords nous rapprochent de nos objectifs, explique l'ancien patron de Mercedes. Tant que nous ne saurons pas si nous avons atteint ceux-là, la stratégie de GPWC ne sera pas modifiée."
L'objectif du GPWC est notamment d'inverser la tendance actuelle et d'offrir aux écuries 80 % des recettes générées par la compétition.
Le 28 janvier, à Londres, lors d'une réunion des patrons d'écurie, la FIA s'est retrouvée seule au côté de Ferrari, qui proposait un train de mesures visant à réduire les coûts. En vain.
En quête de nouvelles recettes, les acteurs de la F1 planchent pour essayer de modérer la frénésie des dépenses. Si Ferrari, pour qui la F1 est "la seule dépense marketing", dispose en matière d'image du meilleur retour sur investissement, les autres écuries, et en particulier les plus petites (Minardi, Jordan, Red-Bull et Sauber), ne peuvent pas en dire autant.
Source non négligeable d'économies potentielles, les séances d'essais sont devenues une pomme de discorde. Deux propositions s'opposent : celle de Ferrari, favorable à une limitation de la distance parcourue (15 000 km par écurie et 15 000 par manufacturier de pneus durant la saison), et celles des neuf autres écuries, dont les plus importantes (BAR-Honda, Renault, Williams-BMW, McLaren-Mercedes et Toyota) sont favorables à une limitation à trente jours d'essais.
Sur ce point, Jean Todt est formel : le choix prôné par ses adversaires est aberrant. "Pour être vraiment compétitives, les plus grosses écuries mettront jusqu'à trois voitures pour être sûres d'en avoir toujours deux en même temps.
" Cela représentera 30 000 km d'essais sur une année. Je ne comprends pas la logique de leur approche, explique le patron de la Scuderia. Les petites écuries, qui ont le plus besoin de bénéficier de ces réductions, n'auront jamais les moyens de tourner autant. Elles vont devenir nerveuses. Notre solution nous permet d'économiser jusqu'à 2,5 millions d'euros avec quinze personnes de moins."
Pour l'heure, l'incapacité à se mettre d'accord fait qu'en matière d'essais les bonnes résolutions sont au panier. Résultat : chacun fait ce qu'il veut. Et Ferrari a bien l'intention de mettre les bouchées doubles.
Jean-Jacques Larrochelle